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Alain et Didier en Mission de terrain en Tanzanie 2020
14 février 2020

14 février : voyage et installation à Kwermusl, chez les Iraqw

Je dors bien. Le réveil à 7 heures ne m’a pas laissé beaucoup de sommeil mais on doit quitter l'hôtel à 8h. Petit déjeuner avec ananas, papaye, café et pain tartine de miel. Des hollandaises se comportent en vraies occidentales : où sont les yaourts, les viennoiseries, le beurre… ? Le taxi arrive à 8h, on charge direction la gare routière. Je découvre Arusha de jour : le choc. L’Afrique dans toute son africanitude. Des motos dans tous les sens, des maisons à moitié finies, des rues en terre, des ruisseaux plein de carcasses et de plastique, un grouillement de partout. La gare routière ? Une rue pourrie avec une file de 4x4 qui attendent. On descend du taxi. Tout le monde te regarde. Mal à l’aise. Il faut payer le taxi. Peur de sortir une liasse de billets tout neuf. Maarten parlemente avec un chauffeur. Je ne comprends rien à ce qui se passe car ils parlent en swahili.

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Finalement, je comprends qu’on va être quatorze dans le 4x4 plus tous nos bagages qui vont aller sur le toit. J’explique à Maarten qu’une partie peut monter mais pas les valises de matos expérimental. On achète finalement deux places de plus pour les valises. Puis Maarten m’emmène finalement à la banque pour retirer encore des shillings tzn car ensuite, en brousse, on ne pourra plus. Didier reste pour garder les bagages. Aucune banque voisine ne fonctionne.

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On revient au 4x4 qui a déjà huit Tanzaniens installés derrière. Maarten et Didier me proposent de monter devant pour profiter du paysage mais le gabarit de Didier nous fait changer d’avis. Il doit monter devant. Maarten et moi partageons une banquette avec nos deux grosses valises plus les sacs d'ordinateur sur les genoux. J’ai compris ce qu’a vécu Gagarine en 1961. Durée prévue : 5 heures de route (Google Maps prévoit 3h12 à 56 km/h : on voit bien que les gens de Google ne sont jamais venus ici ; la montée de l'escapement du rift se fera à moins de 20 km/h)

arusha mbulu

On sort de Arusha. La route a du tarmac. C’est une route qui alimente les grands parcs. Et là commencent les grands paysages. C’est la plaine des Maasais. On croise des centaines de troupeaux avec leurs gardiens à l’habit rouge typique. Les Maasais ne vivent que de l’élevage. Leur richesse est leur nombre de vaches qui sont sacrées. Du coup, on dit que leur alimentation est un mélange de lait et de sang de vache. En fait, c'est pas vrai : non seulement, ils ne mélangent pas sang et lait, mais en plus, cela ne représente qu'une petite partie de leur alimentation. Je découvrirai chaque jour qu'on aime bien propager les mythes africains mais que la plupart sont du domaine du fantasme ou de la caricature. Les contrôles routiers par la police sont fréquents. On se fait arrêter au moins trois fois en cent kilomètres. Vu comment on est chargé, les uns sur les autres, sans ceinture, je suis persuadé que le conducteur va se prendre une prune. Mais non. Rien. Tout va bien. Quatorze dans une neuf places, c'est OK.

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 Au bout d’une heure, je sens des petites mains me taper sur l’épaule. C’est un petit bout d’un an qui est derrière moi sur les genoux de sa maman (il ne compte pas dans les 14). En Tanzanie, seul le chauffeur a une ceinture. Imaginez un siège auto pour bébé : inconcevable. Du coup, je me retourne et la maman commence à me parler en anglais. « Where do you come from ?...  Et elle nous explique qu’elle a fait des études dans la conservation de la nature, qu’elle n’est sortie de Tanzanie qu’une fois pour aller au … Bangladesh, qu’elle a eu très peur puis nous explique tout ce qu’on voit et croise. Elle me pose plein de questions sur la France, si j’ai des enfants… elle m’explique qu’elle aimerait travailler dans les parcs nationaux mais que pour le moment, elle s’occupe de son mari et sa fille. Autour de nous, des troupeaux de zèbres broutent tranquillement. Apparemment, il y a des babouins dans les arbres mais pas de girafes. Les arbres sont trop bas.

A un moment donné (à Madukani), on quitte la route pour s’engager sur une piste :  c’est le début du Paris Dakar Mbulu. Des trous partout. On frôle des gamins qui vont à l’école à pieds. Les voitures et les motos ne ralentissent jamais. Les gamins ont donc appris à se jeter dans le fossé quand ils entendent un moteur arriver avec au mieux, un coup de klaxon pour avertir. De même, les voitures poussent les troupeaux de vaches sur le bord de la route à grands coups d'avertisseurs.

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J’apprends par Maarten que cette piste a été tracée par les Allemands qui ont colonisé le pays jusqu’en 1918 avant d’être remplacés par les British. On traverse des rizières. Pour empêcher les oiseaux de picorer, des gars restent assis dans les champs à jouer les épouvantails. J'imagine les moustiques. Puis apparaissent de hautes montagnes. C’est le Rift. Une fissure tectonique qui part de l’Ethiopie jusqu’au sud de la Tanzanie. Une falaise de 1000 m. La piste se met à tourner dans tous les sens style les routes corses mais sans asphalte.

Des passages à 20%. En première à chaque virage. Je me dis cent fois que le moteur va lâcher. Je regarde le voyant de température du moteur qui commence à monter. Je me revois en Slovénie avec Marion quand j’ai pété le joint de culasse de la Kangoo rouge. Mais ça passe. Après une heure de montée, on arrive sur les hauts plateaux. Tout vert. Ça fait trois mois qu’il pleut mais ça s’est arrêté la semaine dernière.

On arrive à Mbulu. Dans le genre dépaysement, Arusha c'était pas mal. Mais comparée à Mbulu, c’était Strasbourg. A Mbulu, le tarmac n’existe pas. Les voitures, motos, piétons, tout se mélange. Tu arrives au terminal des taxis 4x4. Tu descends et tu te sens comme quand « E.T. » est arrivé sur terre. Pas méchants mais tu as globalement deux cents yeux qui te regardent comme un intrus.  Notre contact local arrive, je ne comprends rien à qui est qui, ni où on va. Je comprends que le jeune s’appelle Boniface. Il doit avoir 25 ans, très sympa. Je l’aide à charger les valises. Il y a aussi un homme plus âgé dont le nom m’échappe. J’apprendrai plus tard qu’il s’appelle Efrem, que c’est le père de Boniface, que c’est un érudit Iraqw et que c’est chez lui qu’on va loger et faire nos enregistrements chez les Iraqw.

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On part et on se dirige plein centre-ville. On s’arrête à côté de cabanes en bois où des femmes vendent des fruits. Je comprends qu’il faut faire les courses. On achète des papayes de la taille de ballons de rugby, des avocats à la peau noire violet (couleur normale quand ils sont murs), des mangues à dix centimes, des ananas, des bananes. Puis direction le marché́. On achète un pack d’eau. Puis direction « à l’hôtel ». Je comprends finalement qu’il s’agit d’halotel, un serveur téléphonique tanzanien. En effet, pour communiquer avec la France ou encore pour avoir accès à Internet, Maarten m'avait confirmé que le mieux était de prendre un forfait 4G puis de communiquer par « whats app ».

halotel

Boniface m’accompagne car ils ne veulent pas que je me fasse arnaquer. La boutique est une espèce de pièce vide peinte en orange pétant, une vitrine avec un modèle de téléphone des années 2000 et un ordi éteint. Le gérant s’appelle Andrew et doit avoir 25 ans. Je suis son 1er client étranger. Il met une heure à trouver comment activer une carte SIM car il doit déclarer mon passeport, me prendre en photo… je le vois trafiquer mon téléphone. Je suis inquiet. Apparemment, Boniface est un geek et ça me rassure. Finalement, la ligne est active mais pas internet. Il faut que mon passeport soit vérifié et ça prend du temps. Ça fait déjà une heure que Didier, Maarten et Efrem attendent. Je fais confiance. Andrew me jure que tout va se régulariser. Effectivement, quelques heures après, j’ai une ligne internet tanzanienne grâce à Boniface qui s’avère un vrai geek. On passe par une station-service prendre de l’essence. C’est à mon tour de payer.

On part vers les montagnes direction Kwermusl. On croise une cathédrale sortie de nulle part. Une mission évangélique. La 2ieme plus grande cathédrale d’Afrique. Incroyable.

mbulu kwermusl

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L’agriculture locale est basée sur l’association maïs et haricots: vieille technique agricole aztèque où les plants de maïs servent de tuteurs aux haricots qui grimpent et enrichissent le sol en azote, ce qui profite à la croissance du maïs. Il y a une immense forêt plantée récemment car si tu plantes des arbres et que personne ne revendique le terrain, celui-ci est à toi au bout d’un certain temps. Il y a plein d’eucalyptus. Avocats, maïs, haricots, eucalyptus. Pas très local tout ça. Ou alors le sens de l’adaptation. La route est pleine de stigmates des pluies récentes. On roule à 20 km/h.

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Finalement, on arrive au village. La maison d’Efrem est très sympa. Une série de bâtiments en cercle avec une cours intérieure fermée, entourée comme un fort par des parties bergerie, poulailler, récupération d’eau, stockage de bois, chiottes douche, cahute du cuisinier, débarras,  chambres. C’est super. On est accueilli comme des princes. L’intérieur est rustique mais très bien. Je comprends que l’installation électrique est home made. Il y a des panneaux solaires sur les toits, que ces panneaux alimentent une grosse batterie qui se trouve dans un cafoutche plein de terre et de trucs inconnus.

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C’est là qu’il y a le convertisseur 12V 220 V cassé. Je sors celui qu’on a acheté à Paris avant de partir.  Je le branche. Ça marche. On a du 220V. Je respire car sinon, on pouvait dire au revoir à EVA et aux ordinateurs. Mais je n’ai pas prévu des km de câble électrique donc on doit monter le labo dans le cafoutche. Youssef, le régisseur cuisinier, me dit alors de lui laisser une heure pour tout nettoyer. Je le vois commencer à vider les objets pendant que deux gamins enlèvent la terre. Je veux filer un coup de main mais je comprends que je dois les laisser faire. Une heure après, c’est nickel. On s’installe.

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Je demande deux tables, elles arrivent de je ne sais où. Il y a beaucoup d’écho dans cette pièce à présent vide. Ils arrivent avec des matelas qu’on fixe au mur. On construit une chambre anéchoique en deux deux.

Le convertisseur ventile et fait beaucoup de bruit. On le met dans une boite avec un coussin. On progresse. Je branche EVA step by step. J’ai une peur bleue de tout faire péter.

Je branche l’ordi. Je branche les capteurs. Je parle, je souffle. Ça marche !!! Malgré ses 19 ans, notre EVA du labo a traversé un hémisphère, des vibrations d’un autre monde et marche comme si elle n’avait pas bougé. Testonpanzerghio technologie.

 

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Les deux gamins qui ont nettoyé le cafoufche trainent dans le coin. Je les remercie mais ils sont intimidés et ne parlent que Iraqw et Swahili. Pas moi. Youssef traduit. Puis, je les vois arriver avec un scoubidou de deux mètres. Youssef me dit qu’ils l’ont fabriqué pour nous. Je les remercie. Heureusement, j’avais eu la bonne idée d’acheter des calissons avant de partir. J’ouvre la boite et leur en offre un. Ils n’osent pas. Finalement, c’est les adultes qui se régalent.  Il me reste encore cinq petites bouteilles d’huile d’olive de la Fare pour notre prochain terrain la semaine prochaine.

Boniface n’arrive pas à prononcer Didier. Je fais référence à Drogba. Et là son visage s’éclaire. Il prononce Didier parfaitement mais en ajoutant Drogba. On parle foot. Il est fan de… l’Olympique de Marseille. Je ne le crois pas. Je suis au fin fond du trou du cul du bout du monde et je trouve un fan de l’OM. Boniface est incroyable. Il connait tous les clubs de foot européens. Y compris des clubs hollandais que Maarten ne connait pas. Maarten m’apprend qu’il connait Sylvie Voisin et Véronique Rey, des collègues africanistes d'Aix-Marseille. Le monde est petit.

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On bosse avec Maarten sur les corpus en Iraqw pour sélectionner les items sur lesquels on va faire les enregistrements. C’est génial car Maarten connait parfaitement l’Iraqw, Didier est un phonéticien de haute voltige et j’essaie de suivre. Finalement, on fait une démo : Didier s’enfile une sonde dans le nez pour prendre la pression dans le pharynx, je lui pose le glotto au niveau du larynx. Et feu, le spectacle commence.

Apparemment, ils ont trouvé ça génial et demain, on aura nos informateurs Iraqw.La nuit tombe vite sous l’équateur. On arrête tous les équipements électriques pour garder du jus pour l’éclairage. C’est la st Valentin. J’arrive à envoyer un gros bisou à Marion. Puis je pars me laver dans une sorte de cahute avec une bassine, un seau d’eau froide, un seau d’eau tiède. « Bush shower » dit Maarten.

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Alain et Didier en Mission de terrain en Tanzanie 2020
  • En février 2020, Didier Démolin et moi, Alain Ghio, sommes en mission de terrain en Tanzanie. L'objectif est d'enregistrer avec des appareils de laboratoire des locuteurs Iraqw à Kermusl, près de Mbulu, puis des locuteurs Hadza près du lac Eyazi.
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