22 février : Hadzabe toujours
C’est la dernière ligne droite. Je ne sais même plus quel jour on est. Seguezi, le frère de Janja Eko est notre prochain locuteur. Il est là depuis hier après-midi et est remonté comme une pile. Il se moque de nous car on ne s'est levé qu'à 6h30. Il incrimine la bière qu'on a bu hier soir à la fin de la journée. De son coté, il est debout depuis 5h. Petite parenthèse : on boit une bière quasiment tous les jours car c'est une prescription médicale pour premièrement éviter de boire de l'eau non potable, deuxièmement avoir un effet positif des levures sur notre flore intestinale, constat effectué par le Dr Snow lors des épidémies de choléra à Londres.
Seguezi a approximativement 23 ans. Je dis approximativement car les Hadzabe n’ont pas d’état civil. Les plus vieux comptent leur âge par rapport au tremblement de terre de 1963. Par exemple, Mama Baati qu’on va enregistrer avait environ huit ans au moment du tremblement de terre, ce qui signifie qu’elle est née vers 1955. Mais Seguezi est bien plus jeune.
Andrew lui demande s’il sait qui était le président de la Tanzanie quand il est né (un autre repère), il répond Nyerere qui est le fondateur de la république de Tanzanie en 1960. Gros problème de Common Ground. Seguezi a un enfant de trois ans, on estime qu’il a 23 ans. Il a hâte de se mettre une sonde dans le nez pour montrer qu’il est fort. Malheureusement, il n’y arrivera pas malgré́ ses efforts.
Ça fait trois échecs sur quatre tentatives alors qu’on avait fait carton plein chez les Iraqw. Les Hadzabe sont petits voire pygmées. En voyant les photos de Seguezi à côté de moi ou de Didier, la différence de taille est flagrante et je me dis que tous nos repères relatifs au conduit vocal sont probablement faussés. Ce qu’on a pris pour des échecs était peut-être tout simplement le fait que la sonde aurait du être prévue plus courte que d'habitude. Peut-être que tous nos locuteurs Hadza avaient la sonde en place mais on n’a même pas essayé car le repère de longueur indiquait une insertion insuffisante. Quels idiots ! C’est ça le travail de terrain. Trop tard pour rectifier le tir. Heureusement, nos données restent riches malgré́ cela.
Lors des enregistrements acoustiques des clics et des éjectives, il faut bien penser à décaler le microphone de l'axe de façon à éviter les pops. L'intensité de certains clics est tellement forte que je suis obligé de saturer un peu le signal audio car sinon, le reste de la parole a une trop faible amplitude.
Siguezi s'éclate à faire de la palato.
Palatographie à l'huile d'olive Chateau Virant (La Fare-Lançon) , s'il vous plait.
Mama Baati sera notre dernière locutrice.
Aujourd’hui, les Hadza ont emmené des produits de leur artisanat : colliers, bracelets, déco… j’ai fait le plein pour faire des cadeaux en rentrant. Ils ont aussi apporté́ un arc magnifique, un carquois et des flèches. La corde est en fait une corde en nylon et le carquois est à base d’un tuyau en plastique dur. C’est marrant de voir qu’ils sont un mélange de vie sauvage dans la forêt avec des agréments du monde moderne. Ils ont des habits industriels (chemises, treillis, jeans…) Ils achètent du manioc aux fermiers et du tabac et du sucre à l’épicerie. En fait, j’apprends qu’ils remettent leurs pagnes quand ils ont la visite de touristes ou du National Geographic. De même, ils cachent le maïs, le manioc, le sucre et le tabac quand ils voient arriver les biologistes qui étudient leur nutrition traditionnellement à base de chasse et de cueillette.
Pour revenir à l’arc, Seguezi nous propose de faire une démonstration sur une poule des voisins. On l’en dissuade rapidement pour ne pas avoir d’ennuis. Ca me remet en mémoire le film « les dieux sont tombés sur la tête » où un Bochiman, de la même famille que les Hadza , tue une chèvre et finit en prison. N’empêche que l’aliment préféré́ des hommes reste le babouin. La partie délicieuse sont les mains qui, parait-il, sont grasses et gouteuses, de couleur orange, ainsi que les fesses bien charnues. Ils se servent de la peau des fesses pour s’assoir par terre. Les femmes adorent le miel et les sucreries.
Je regrette de n’avoir apporté́ qu’une boite de calissons qui a été́ vidée à Kwermusl. Je pense qu’avec les Hadza, j’aurais fait fureur. Et plutôt que l’huile d’olive qui n’a pas d’intérêt pour eux sauf à mettre sur la peau, j’aurais dû apporter du miel. Au sujet de l’huile, ils s’huilent la peau autant que nous, on se lave les dents. Ils trouvent d’ailleurs qu’on est dégueulasse de ne pas nous huiler la peau, tout comme on trouve dégueulasse qu’ils ne se lavent pas les dents (toutes marrons d’ailleurs). A ce sujet, il parait que comme les Masaïs, ils coupent les branches du Siwak, un arbre de la région, puis les taillent et en pèlent leurs extrémités. Ensuite mâchées et torsadées dans la bouche, elles prennent rapidement l’allure d’une brosse à dents naturelle. Légende ou réalité, toujours difficile à savoir. Bien évidemment, le matin les Hadzabe trouvent qu’on ne mange pas assez avec notre verre de thé et nos deux crêpes. Eux, ils ajoutent une soupe et un bol de viande de mouton bouilli.
J’ai constaté́ que nos 4 locutrices sont des femmes âgées et je demande à Andrew si c’est un hasard. Il me répond que non : les jeunes femmes ont beaucoup de travail car elles s’occupent des enfants, de la cueillette et de la cuisine. D’autre part, probablement une réticence à envoyer de jeunes femmes à la « ville », qui plus est avec des Mzungus (les blancs).
On fait un dernier tour dans Mwangeza (pour trouver du café). Il fait chaud.
Ce soir c’est Saturday Fever. Pour le repas, on a eu …. une omelette aux patates. C’était trop bon. Puis on est rentré pour tout remettre le matériel en valises, solder nos comptes (compliqués car on n’a pratiquement jamais de reçus) et planifier le traitement des données. Demain, le 4x4 vient nous chercher à 7h pour aller a Haydom enregistrer à l’arrache un Datooga.